
L’opposition vénézuélienne, qui revendique la victoire à la présidentielle du 28 juillet, a appelé lundi 5 août l’armée, pilier du pouvoir, à se ranger « du côté du peuple » dans la crise qui l’oppose à Nicolas Maduro, proclamé vainqueur par le Conseil national électoral (CNE). Le parquet vénézuélien a réagi au communiqué en ouvrant une enquête criminelle dans l’après-midi contre les deux leaders.
« Nous lançons un appel à la conscience des militaires et policiers pour qu’ils se rangent du côté du peuple et de leurs propres familles », écrivent dans un communiqué commun la cheffe de l’opposition Maria Corina Machado et le candidat à la présidentielle Edmundo Gonzalez Urrutia.
« Le nouveau gouvernement de la République élu démocratiquement offre des garanties à ceux qui accompliront leur devoir constitutionnel », promettent les deux dirigeants, espérant ainsi faire basculer l’armée de leur côté. Ils réitèrent avoir « les preuves irréfutables » de la victoire d’Edmundo Gonzalez Urrutia, qui avait remplacé comme candidat au pied levé Maria Corina Machado, déclarée inéligible.
Une enquête criminelle contre les leaders de l’opposition
Le parquet vénézuélien a ouvert ce lundi une enquête criminelle contre le candidat de l’opposition à la présidentielle Edmundo Gonzalez Urrutia et la cheffe de l’opposition Maria Corina Machado, notamment pour « usurpation de fonctions, diffusion de fausses informations, incitation à la désobéissance aux lois, incitation à l’insurrection, association de malfaiteurs ». Edmundo Gonzalez Urrutia et Mme Machado « annoncent un faux vainqueur de l’élection présidentielle (….) incitent ouvertement les fonctionnaires de police et les militaires à désobéir », le parquet « a décidé d’ouvrir une enquête pénale à l’encontre des deux », selon un communiqué.
Les troubles qui ont suivi la proclamation de la victoire du président sortant ont fait 11 morts parmi les civils, selon les organisations de défense des droits humains. Nicolas Maduro a de son côté annoncé la mort de deux membres de la Garde nationale et l’arrestation de plus de 2 000 personnes, promettant de poursuivre la répression contre ce qu’il qualifie de tentative de « coup d’État impérialiste ». Il a assuré samedi que le déploiement policier et militaire se poursuivrait dans le pays pour « protéger le peuple ».
L’armée, clef de voûte pour l’accès au pouvoir ?
Au surlendemain du scrutin, le ministre de la Défense, le général Vladimir Padrino, avait réaffirmé au nom de l’armée « notre loyauté la plus absolue et notre soutien inconditionnel au citoyen Nicolas Maduro Moros, président constitutionnel (…) notre commandant en chef légitimement réélu par le pouvoir populaire », précisant que l’armée agira « avec force » pour « préserver l’ordre intérieur ».
L’armée pourrait être la clef de voûte pour l’accès au pouvoir du candidat opposant, estime Sebastiana Barraez, journaliste et spécialiste du sujet. « Les forces armées sont sous pression, elles doivent choisir entre assumer leur rôle principal d’être des défenseurs de la constitution ou bien rester soumis à un individu qui s’accroche au pouvoir », juge-t-elle. Depuis l’arrivée du commandant Chavez à la tête de l’État, le pays est en grande partie dirigé par les militaires, et il l’est encore aujourd’hui avec le président Maduro, rapporte Alice Campaignolle, notre correspondante à Caracas. Mais dans son message, Edmundo Gonzalez, qui s’est nommé lui-même « président élu du Venezuela », s’adresse particulièrement aux soldats et moins aux hauts gradés qui dirigent le pays. « Les problèmes qui vit la population au quotidien, l’armée les vit aussi », note Sebastiana Barraez.
Le CNE doit présenter à la Cour suprême les procès-verbaux
Le président du Conseil national électoral (CNE) Elvis Amoroso annoncé lors d’une audience publique avoir remis à la Cour suprême les procès-verbaux de la réélection de Nicolas Maduro, qui est sous pression internationale et cherche à faire valider sa victoire par la plus haute instance judiciaire. Ce sont justement ces fameux procès-verbaux – avec le décompte bureau par bureau – que réclament l’opposition et une partie de la communauté internationale. Le CNE comme la Cour suprême (TSJ) sont considérés par l’opposition, mais aussi par des observateurs, comme étant aux ordres du pouvoir.
Avec cette procédure, Nicolas Maduro « admet implicitement que personne ne croit en la proclamation (du CNE), au point qu’il demande qu’un autre pouvoir intervienne, comme un greffe ou un notaire, pour certifier sa victoire », souligne Perkins Rocha, avocat de l’opposition. « Nicolas Maduro sait qu’il peut compter sur un TSJ à genoux devant lui ».
Le CNE a ratifié vendredi la victoire de Nicolas Maduro avec 52% des voix, contre 43% à Edmundo Gonzalez Urrutia. Se disant victime d’un piratage informatique, l’autorité électorale n’a toujours pas donné le détail du vote bureau par bureau. L’opposition estime qu’il s’agit d’une manœuvre pour ne pas révéler les vrais résultats, et a publié sur un site internet les procès-verbaux correspondants, selon elle, à chaque bureau. Selon ces documents, dont la validité est rejetée par Nicolas Maduro, Edmundo Gonzalez Urrutia a remporté le scrutin avec 67% des voix.
Le président français Emmanuel Macron et son homologue brésilien Luiz Inacio Lula da Silva ont dit lundi soutenir « l’aspiration du peuple vénézuélien à une élection transparente », a indiqué lundi le chef de l’État français.
Le président brésilien a appelé au dialogue entre le gouvernement vénézuélien et l’opposition. « C’est notre engagement en faveur de la paix qui nous amène à appeler les parties au dialogue et à promouvoir la compréhension entre le gouvernement et l’opposition », a déclaré Lula, lors d’une visite d’État au Chili, où il a rencontré le président Gabriel Boric.
Dimanche, l’Union européenne a estimé qu’elle ne pouvait reconnaître les résultats officiels : « Bien qu’il s’y soit engagé, le CNE n’a toujours pas publié les procès-verbaux officiels des bureaux de vote. Faute de preuve pour les soutenir, les résultats publiés le 2 août par le Conseil national électoral ne peuvent être reconnus ».
Contrairement aux États-Unis et à plusieurs autres pays, l’UE s’est toutefois gardée de reconnaître formellement la victoire d’Edmundo Gonzalez Urrutia. Les États-Unis, qui maintiennent leurs sanctions contre le Venezuela, ont fait état de « preuves accablantes » d’une victoire du candidat de l’opposition. Plusieurs pays ont même reconnu celui-ci comme « président élu ».
Des pays comme le Brésil, la Colombie ou le Mexique se sont contentés d’appeler à un règlement de la crise. Pour le moment, Nicolas Maduro, soutenu par ses alliés traditionnels, la Russie et la Chine, fait mine d’être insensible à la pression internationale.
Lundi, comme presque tous les jours depuis le scrutin, des partisans du dirigeant vénézuélien ont défilé dans Caracas « pour la paix et en défense de la victoire du président Nicolas Maduro ». Il s’agit cette fois d’une marche de la « jeunesse socialiste ». Après une semaine de grande tension avec de nombreux commerces fermés, Caracas semblait reprendre lundi une vie normale.