
L’Assemblée nationale, censée consacrer la fermeture d’une année législative peu productive, a déraillé ce lundi parce que des sénateurs l’ont voulu ainsi, parce que le bureau n’a pu rien faire et parce que les divergences, ou tout au moins les irritants, surgissent de partout au bord de mer – parfois là où on s’y attendait le moins.
Il y a eu quorum : 18 sénateurs et 73 députés. Les parlementaires, pour une rare fois, n’ont pas épilogué, palabré. Tout augurait une fermeture calme de l’année législative. Pourtant, les épines étaient là, bien qu’insoupçonnables. « Je propose qu’on statue sur le statut de Jocelerme Privert », soutient Caleb Desrameaux, croyant qu’ils [les députés] ne peuvent pas partir en vacances en laissant un tel « flou » sur le sort du président provisoire. Les motions jaillissent, comme l’eau d’une rivière en crue. L’un réclame qu’on « rejette avec fracas » cette proposition. L’autre indique qu’ « ils ne sont pas là pour ça.» Ronald Larêche, président du Sénat, tranche, procède au vote. L’ordre du jour est aussitôt entériné, mais s’ensuivra une suspension de séance symptomatique de la complexité et du raidissement du jeu des confrontations au Bicentenaire…
Après moult tractations ou encore mieux tentatives d’aplanir les divergences, le retour à la salle ne s’opère que pour très peu de temps, à peine trois minutes : 14 sénateurs et 73 députés. La séance est ipso facto levée. Il n’y aura pas de longues envolées oratoires où les parlementaires s’attèlent généralement à vendre leur « bilan » comme des chantiers de la pyramide. À chaque coin, presque sur toutes les lèvres, l’embarras est palpable « C’est un très très mauvais précédent », jette Ronald Larêche, dévalant les marches de la tribune. Il parle des sénateurs ayant infirmé le quorum [Carl Murat Cantave, Andris Riché, Hervé Fourcand, Onondieu Louis] mais confie en ignorer leurs motifs. « Il n’y a eu rien de politique dans l’ordre du jour », enchaîne, un tantinet embarassé, le sénateur du Nord-Est.
La séance n’ayant pas eu lieu, les députés sont-ils en vacances ? « Constitutionnellement oui », répond Ronald Larêche. Il refuse d’interpréter le comportement des avorteurs, quoique conscient de la « façon désagréable » dont sont partis en vacances les députés. Alfredo Antoine, lui, tout aussi interloqué d’une telle fin, parle d’un « sentiment d’insatisfaction ». On lui objecte que les parlementaires ont infirmé le quorum parce qu’ils ne voulaient nullement plancher sur des instruments internationaux déposés au Parlement par Jocelerme Privert, il glisse : « C’est un faux prétexte ! » « C’est étonnant, c’est grave qu’on a un Parlement qui ne peut s’élever au-dessus de la mêlée », renchérit Jerry Tardieu. L’élu de Pétion-Ville, sensible à la Convention des Nations unies sur l’apatridie qui devait être votée au cours de la séance, croit qu’il n’y a rien aujourd’hui qui puisse expliquer l’infirmation du quorum.
Jean Baptiste Bien Aimé est révulsé. Le sénateur Lavalas parle, lui, d’un « Parlement déjà dénigré », « très mal perçu » aux yeux de la population. « Une telle action avilit davantage le Parlement », assène-t-il. « Mwen menm pèsonèlman, m santi m vrèman wont ! » Quels ont été les points de divergence ? Il effleure, entre autres, l’accord de Paris sur les changements climatiques que des irréductibles sénateurs n’ont pas voulu entériner parce que celui-ci est paraphé par Jocelerme Privert. Il ne finit pas encore sa tirade que Dieupie Chérubin y va aussi de sa couche. « Il n’y a aucune fierté de faire partie d’un tel corps », dégaine le sénateur du Sud-Est. Et d’ajouter, serein : « Nous sommes couverts de honte ! » Il s’en prend aux avorteurs, prêche sur la nécessité d’ « éduquer le peuple » pour l’émergence d’une nouvelle génération d’hommes d’État…
Pris dans l’engrenage d’une nuée de journalistes, Gary Bodeau, les yeux déjà rivés sur le 2e lundi de janvier 2017, se fait l’avocat des avorteurs, démonte Jocelerme Privert. « Il n’y a plus de président au Palais national », plastronne le député de Delmas, comme pour dire qu’il n’est pas question de statuer sur des instruments internationaux déposés à leur appréciation par l’homme des Nippes. « Nous sommes cohérents ! » Gary Bodeau, questeur de la Chambre basse, parle d’ « un accord qu’il y a eu sur la fermeture de l’année législative » mais non l’«inclusion de l’accord de Paris et autres dans l’ordre du jour ». Contrairement à sa thèse, Carl Murat Cantave, à la tête des frondeurs, indique que c’est la proposition de Caleb Desrameaux qui a réveillé la puce à leurs oreille, bref, qui les a précipités à infirmer le quorum. Cantave, qui ne cesse de brandir sa cohérence, croit avoir donné une leçon politique à Privert.
Mais bien avant lui, Frantzner Dénius croit qu’Il y a des choses plus importantes qu’une fermeture de l’année législative, dont l’accord de Paris sur les changements climatiques. « C’est une honte pour l’Assemblée ! » Il parle des changements climatiques, de l’apatridie dont sont victimes des Haïtiens en République dominicaine. « À qui cela est-il profitable ?, s’interroge-t-il. Vous vous demandez est-ce que ce sénateur a sa tête sur ses épaules ou est-ce qu’il a d’autres motivations en boycottant une séance d’une telle importance. » Un peu plus tôt dans la journée, les sénateurs ont tenté de statuer sur la loi sanctionnant le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Mais rien n’y fit. Le quorum n’a pas été réuni. Carl Murat Cantave, Edwin Zenny, Hervé Fourcand et Andris Riché préférant rester cloitrés dans leurs boudoirs…
Juno Jean Baptiste source le nouvelliste