
Sur 87 rapports d’enquêtes transmis à la justice par l’Unité de lutte contre la corruption (ULCC), seulement un jugement de condamnation a été prononcé, quatre ordonnances de clôture ont été rendues dont une de non-lieu. L’ULCC a présenté le jeudi 29 août, lors d’un atelier, le diagnostic de la Loi du 12 mars 2014 portant prévention et répression de la corruption.
Lutter contre la corruption en Haïti est comme noyer un poisson dans l’eau si l’on tient compte des chiffres avancés par l’ULCC. 10 ans après l’entrée en vigueur de la Loi du 12 mars 2014 portant prévention et répression de la corruption, 67 rapports ont été communiqués à la justice pour très peu de suivis. L’ULCC, qui s’apprête à célébrer ses 20 ans, a soumis au total 87 rapports d’enquêtes à la justice. De ces chiffres, un seul jugement de condamnation a été prononcé, quatre ordonnances de clôture ont été rendues, dont une de non-lieu. La preuve irréfutable de l’impunité en Haïti quand on parle de la corruption. Un atelier a été organisé à Pétion-Ville en vue de diagnostiquer la Loi du 12 mars 2014 portant prévention et répression de la corruption, 10 ans après son entrée en vigueur.
Me Delva Dimanche, chargé de faire la présentation du diagnostic de ladite loi, a évoqué certaines faiblesses constatées dans la loi aux yeux des experts internationaux.
L’une des faiblesses révélées, c’est que cette loi accorde une certaine primauté à la répression plutôt qu’à la prévention. « Dans le domaine de la corruption, la prévention est beaucoup plus fondamentale. Cette loi concerne seulement les dispositions relatives à la prévention », a avancé Me Dimanche, alors qu’une poignée d’articles seulement touche la prévention.
Le manque d’éclaircissement sur les éléments constitutifs du népotisme dans le texte. Le non-encadrement des techniques spéciales d’enquête pour faire progresser la lutte contre la corruption sont les manquements constatés par les experts dans ce texte de loi.
En outre, souligne le chargé d’affaires de l’ULCC, Me Dimanche, l’incidence négative du projet du nouveau Code pénal sur la loi à partir de l’article 1036 est capable d’abroger toutes les dispositions pénales contenues dans cette loi.
À cet atelier, il était question de voir les différents efforts accomplis et les chemins qui restent à parcourir.
« Par rapport à la quantité de rapports transmis aux autorités judiciaires, très peu de décisions ont été rendues. Donc l’impunité prend sa place. L’ULCC adopte des stratégies visant à contourner ces obstacles en créant le circuit anticorruption en essayant de développer une certaine synergie entre les acteurs de la chaîne pénale. La structure n’a pas pu s’épanouir », s’est plaint l’avocat, qui en a profité pour rappeler qu’avant la Loi du 12 mars, la répression de la corruption se faisait sur la base du vieux Code pénal qui contenait seulement cinq dispositions ayant rapport aux actes de corruption.
Présente à cet atelier, Marie Chantal Dumay, ministre déléguée auprès du Premier ministre chargée de l’assainissement des institutions de l’État et de la lutte contre la corruption et de l’impunité dit constater que les décisions de justice n’ont malheureusement pas suivi après les rapports.
« L’impunité règne en maître. Nous sommes aujourd’hui à un tournant crucial dans notre vie de peuple où se décide la survie même de la nation. Nous avons pris l’habitude de laisser aux autres le soin de juger et de condamner. Il faut agir vite, les citoyens n’ont plus confiance en l’État. La corruption et l’impunité y règnent en maîtres. Les jeunes, les cadres laissent l’administration publique et partent dès qu’il y a une opportunité qui s’offre à eux. La nation perd des gens qui auraient pu l’aider à se redresser. Il nous faut agir. Le Premier ministre Garry Conille est conscient de l’effet néfaste de la corruption sur le développement économique, sur le fait de maintenir un climat social apaisé. Il a compris le lien entre la corruption, l’impunité et la sécurité », a déclaré la ministre Dumay.
« La corruption se fait en équipe. La lutte contre la corruption doit être aussi une affaire d’équipe », a plaidé la ministre Dumay, qui voit dans la corruption un phénomène qui engendre la pauvreté.
« L’État ne doit plus être vue comme une vache à lait. La corruption, la plupart du temps, est dénoncée quand l’autre n’est pas généreux. Elle devient la culture dans l’administration publique. Le niveau de pauvreté dans lequel croupit la population n’est pas une malédiction, c’est la conséquence de la mauvaise gestion des finances de l’État. Les agents publics doivent comprendre leur rôle dans la lutte contre la corruption », a sensibilisé la ministre Dumay.
De son côté, le directeur général de l’ULCC, Me Hans Jacques Ludwig Joseph, estime que le 12 mars 2014 scelle un cycle d’une révolution législative dans la lutte contre la corruption en Haïti.
« Cette loi novatrice transformant positivement et substantiellement le droit pénal haïtien et qui s’aligne en grande partie aux standards internationaux tracés par les Conventions interaméricaines des Nations Unies contre la corruption est un vibrant appel à la responsabilité et à la recevabilité », a apprécié le DG Joseph, qui veut encourager activement des acteurs judiciaires, dont forces vives de la nation, à amplifier le contrôle citoyen qu’ils exercent dans l’administration publique haïtienne.
« Ce diagnostic met en lumière cette prépondérance du volet répressif en consacrant 15 de ces 26 articles aux activités de répression de la corruption, ce qui traduit cette volonté collective de s’assurer ou de punir les auteurs d’actes de corruption. Le bilan résultant de la mise en œuvre de la loi est pour le moins maigre », a reconnu, non sans peine, le titulaire de l’ULCC.
Pour Me Joseph, si les enquêtes de corruption de l’ULCC sont en nette augmentation avec des résultats documentés issus d’un processus d’investigation exigeant, les sanctions provenant des tribunaux tardent.
« Sur 87 rapports d’enquêtes transmis à la justice par l’ULCC, seulement un jugement de condamnation et quatre ordonnances de clôture ont été rendus, dont une de non-lieu », a regretté Me Hans Jacques Ludwig Joseph.
Cet atelier s’est déroulé en présence de magistrats, avocats et autres personnalités de la société civile. Des représentants de l’Office des Nations Unies contre les drogues et les crimes (ONUDC) ont participé également à cet atelier. Me Joseph Léon Saint-Louis a clôturé les débats avec un sujet intéressant sur « la justice pénale des hauts responsables de l’État. »