
Presidential candidate for the Diomaye President coalition Bassirou Diomaye Faye (C) casts his ballot at the École Ndiandiaye polling station in Ndiaganiao on March 24, 2024 during Senegal's presidential elections. (Photo by SEYLLOU / AFP)
Le nouveau président sénégalais Bassirou Diomaye Faye est attendu ce mercredi soir à Paris et déjeunera demain jeudi à l’Elysée avec son homologue français Emmanuel Macron. Il s’agit de sa première visite en France depuis son élection. Il y a un mois, le Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko a été virulent contre le chef d’Etat français. Cette charge verbale va-t-elle laisser des traces ? Décryptage avec Pape Ibrahima Kane, expert des questions régionales africaines, en ligne de Dakar.
RFI : Pour sa première visite hors du continent, le président Diomaye Faye choisit la France, est-ce que c’est un signe politique ou le fruit du hasard de ce Forum mondial sur la souveraineté vaccinale ?
Pape Ibrahim Kane : C’est à la fois le fruit du hasard, mais je pense qu’il était nécessaire, vu l’histoire des relations entre le Sénégal et la France, qu’Emmanuel Macron soit le premier président occidental que le président Diomaye Faye rencontre, parce qu’ils ont quand même beaucoup de choses à se dire.
Les deux hommes se sont parlé au téléphone, juste après l’élection de Bassirou Diomaye Faye. La conversation a duré assez longtemps, je crois. Mais là, ce sera la première rencontre physique.
Oui, une première rencontre physique, mais qui se passe dans un contexte assez particulier. Le président Macron, au plan national, traverse quelques difficultés politiques. Et du côté sénégalais, le président Diomaye Faye rend visite au président français à un moment où la situation économique du Sénégal n’est quand même pas du tout bonne.
Alors avant de bâtir une nouvelle relation, il faut purger le passé. Le 16 mai, le Premier ministre Ousmane Sonko a eu des mots durs contre Emmanuel Macron. Il lui a reproché d’avoir fait le jeu du régime répressif de Macky Sall, entre 2021 et 2024.
Alors je pense que cela doit servir de leçon à tous les dirigeants occidentaux pour que, lorsqu’il y a une opposition, surtout une opposition républicaine, pour qu’on la considère comme étant un parti politique qui pourrait éventuellement prendre le pouvoir et donc la traiter avec déférence. Et ça, par le passé, ça n’a pas été le cas. Et donc, ça a créé inutilement des frictions, des attitudes d’hostilité qui ne doivent pas vraiment exister entre dirigeants occidentaux et partis politiques en Afrique.
Mais cette charge d’Ousmane Sonko contre Emmanuel Macron il y a un mois, est-ce que ça veut dire que les relations vont être compliquées à présent ?
Non pas du tout. Parce que Sonko, il est dans son rôle, il est dirigeant d’un parti politique, il a souffert dans sa chair. Cet ostracisme-là, il l’exprime. Mais, quand il s’agit de rapports entre le Sénégal et la France, celui qui est aux manettes, c’est le président Diomaye Faye. Et vous avez vu que dans sa posture, dans son comportement jusqu’à présent, il a vraiment pris soin d’avoir une attitude assez déférente par rapport à tous les dirigeants qu’il a rencontrés. Et aussi, c’est quelqu’un qui ne parle pas trop, et ça, c’est une très très bonne chose en diplomatie. Je pense que la rencontre, qui va avoir lieu demain, sera une rencontre où on va discuter de manière très sereine des rapports entre le Sénégal et la France, qui sont des rapports très importants pour la France, parce que c’est le 2e pays africain, en dehors de la Côte d’Ivoire, avec qui la France a vraiment des relations très solides. Mais en outre, le Sénégal a aussi beaucoup, beaucoup de choses à faire valoir. Il y a cette volonté des dirigeants sénégalais de reprendre de fond en comble les relations. Mais pour que cela puisse se faire, il faut bien qu’on discute. Il faut bien qu’on s’entende sur la méthode et qu’on s’entende aussi sur les objectifs à atteindre.
Cette attaque verbale d’Ousmane Sonko contre Emmanuel Macron il y a un mois, est-ce que ce n’est pas aussi une façon pour le Premier ministre sénégalais de dire à son compagnon politique Diomaye Faye que les affaires étrangères ne relèvent pas seulement du président de la République ?
Non, pas du tout. Vous savez, même ici au Sénégal, il y a beaucoup, beaucoup de supputations autour de la posture que Sonko est en train de prendre. Il reçoit des ambassadeurs, il s’intéresse à ceci et cela. Je pense qu’il faut savoir garder raison et comprendre que, en matière de diplomatie… et Sonko d’ailleurs, une fois, l’a reconnu publiquement, en disant que la défense, les affaires étrangères, c’est du domaine du président de la République. Et donc il faut comprendre que lui, il est un politicien, il est dirigeant d’un parti politique, il a beaucoup plus de liberté que le président de la République qui s’occupe des affaires de l’État, et donc qui a en main les destinées du Sénégal, les rapports entre le Sénégal et l’extérieur. Et donc peut être que les responsabilités ne sont pas les mêmes, ce qui explique les attitudes des uns et des autres.
Le Pastef de Bassirou Diomaye Faye et la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon sont des alliés politiques, on l’a vu il y a un mois à Dakar. Est-ce qu’aujourd’hui le Pastef ne soutient pas naturellement le Nouveau Front populaire qui fait campagne en France ? Est-ce que cela ne risque pas de gâter un petit peu le déjeuner de ce jeudi à l’Élysée entre Emmanuel Macron et Diomaye Faye ?
Non, pas du tout ! Aussi bien Diomaye Faye que Macron, j’imagine, ont quand même à l’esprit que ce sont des dirigeants d’État, que la vie politique intérieure de chacun des pays relève de chacun de ses dirigeants et que, quand ils se rencontrent en tant que chefs d’État, ils doivent parler des questions qui engagent le futur des rapports entre les États.
Parmi les sujets qui divisent, il y a la base militaire française de Dakar avec ses 350 soldats. « La souveraineté du Sénégal est incompatible avec la présence durable de bases militaires étrangères », a encore dit Ousmane Sonko il y a un mois. Est ce qu’on va vers une fermeture de cette base ?
Je pense qu’un État revendique une certaine façon de tisser des rapports avec l’extérieur. Surtout ces jeunes qui veulent montrer que l’Afrique est maintenant décomplexée par rapport aux anciennes puissances coloniales. La question des bases militaires, pour moi, est une question symbolique. On ne peut pas dire qu’on est souverain et garder sur son territoire ces bases militaires dont on n’a aucun contrôle. Parce que si la France décide par exemple d’intervenir au Mali et a des forces qui sont établies au Sénégal et qui doivent y participer, le Sénégal n’y peut absolument rien, parce que le Sénégal ne contrôle pas ces forces-là. Donc un des éléments de souveraineté, c’est effectivement de n’avoir sur son territoire que des forces que le pays accepte et que le pays peut contrôler. Cette question des bases militaires, de mon point de vue, n’est pas aussi fondamentale qu’on le pense. Et je pense que, si la question est posée par le président Diomaye Faye, je ne vois pas comment le président français pourrait s’y opposer. D’autant plus que la France elle-même réfléchit à se redéployer d’une autre manière avec tous les problèmes qu’elle a rencontrés ces dernières années dans le Sahel. Et donc cela va juste aider à prendre les bonnes décisions politiques.
Donc, vous pensez que la prochaine visite à Dakar de Jean-Marie Bockel, l’émissaire d’Emmanuel Macron, ce sera pour annoncer la future fermeture de la base française ?
Cela dépend s’ils s’entendent demain pour que la procédure s’accélère. Parce que la fermeture d’une base n’est pas aussi simple que cela. Vous avez vu au Niger, la décision a été prise de fermer les bases américaines. Mais ça prend encore du temps parce qu’il y a de la logistique. Ces bases-là sont aussi équipées de beaucoup, beaucoup d’instruments que les Français ne souhaiteraient pas laisser ici au Sénégal. Donc tout cela, ça se négocie, le timing se négocie. Et en principe aussi, comment rétrocéder formellement ces bases au Sénégal ? Parce qu’il ne s’agit pas seulement des deux bases de Dakar, la base de Ouakam et la base navale du port. Il y a aussi une présence française dans la région de Thiès, donc il y a tous ces éléments à régler, ce n’est pas aussi simple, ça demande effectivement beaucoup de discussions et je suis persuadé que, comme les militaires sénégalais et les militaires français se connaissent très bien, ça ne va pas être un sujet de friction. Au contraire, ils vont faciliter la rétrocession de ces bases là au Sénégal.
D’ici quelques mois ou au plus tard d’ici un an ?
Certainement, parce que vous savez actuellement, le président Diomaye Faye, et c’est là également un de ses points forts, ne précipite rien, sachant qu’il est novice dans ce nouveau poste, il prend son temps. Il essaie de consulter, de discuter et de voir dans quelle mesure chaque acte posé est un acte qui va dans le sens des intérêts du Sénégal. Donc le président de la République du Sénégal jusqu’à présent montre une attitude vraiment mesurée, le Sénégal étant un État qui a quand même des relations diplomatiques avec plus de 120 pays dans le monde. Donc c’est vraiment une responsabilité qu’il prend très au sérieux.
Autre sujet clivant, le franc CFA, le Sénégal d’aujourd’hui veut-il le réformer ou le supprimer ?
Je pense que le Sénégal est dans une démarche de réforme, mais de réforme dans le cadre de la CEDEAO. Le Président Diomaye Faye, il est dans la démarche de la CEDEAO qui consiste à créer une monnaie commune aux États africains. Alors il dit que, si cette démarche-là dure plus longtemps que prévu ou qu’elle est impossible à se réaliser, le Sénégal va revoir sa position et éventuellement trouver une autre démarche. La question du CFA, je pense que c’est un peu lié à la situation économique de nos pays. La monnaie est un instrument de développement. La monnaie est un moyen par lequel les États peuvent vraiment gérer leur économie et autres. Et là pendant plus de 60 ans, l’économie pratiquement des 8 pays de l’UEMOA était entre les mains de la France, entre les mains de l’UE. Et donc ça devient tellement difficile qu’il est nécessaire de réfléchir sur une autre façon de gérer les monnaies africaines. Et les petites monnaies ont aussi montré leur insuffisance. Prenez l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe, des pays qui ont de petites monnaies. Certains s’en tirent, mais avec énormément de difficultés. Toutes ces choses-là font que la démarche sénégalaise est une démarche assez prudente, allant dans le sens de la CEDEAO. Et cela, je pense que c’est un élément essentiel de cette souveraineté que le Sénégal et d’autres pays revendiquent.
Le mois dernier, Bassirou Diomaye Faye a été reçu à Bamako et à Ouagadougou par deux des régimes putschistes du Sahel. Est-ce que vous pensez que Bassirou Diomaye et Emmanuel Macron vont parler justement des questions du Sahel ce jeudi à l’Élysée ?
Nécessairement, parce que, dans la sous-région, tout le monde fait confiance maintenant au Sénégal pour qu’il joue un rôle important dans le retour des pays de l’AES, l’Alliance des Etats du Sahel à la maison, c’est-à-dire dans le cadre de la CEDEAO. Et il se trouve que Diomaye Faye a tissé de bonnes relations aussi bien avec le président du Mali que le président du Burkina. Tout cela permet aussi pour lui d’avoir le point de vue français sur cette situation. Le point de vue français sur comment on en est arrivé là, pour que la France soit totalement exclue de cette partie du continent. Et quand il aura tous ces éléments en main, ça permettra aussi au président sénégalais de voir comment envisager les discussions futures avec tous ces dirigeants-là. Parce que, qu’on le veuille ou pas, la question de la CEDEAO est aussi une question vitale pour le Sénégal. Il n’est pas possible de se développer dans de petits pays. Il n’est pas possible de se développer en dehors du cadre de la CEDEAO. Et donc tous les deux ont intérêt à ce que ces questions-là soient résolues de la meilleure des façons. Et que, même s’il y a rupture avec la France, que cette rupture quand même laisse la place à des relations renouvelées, des relations qui permettent et aux uns et aux autres de défendre leurs intérêts.
Bassirou Diomaye Faye peut-il faire passer des messages entre Bamako et Paris, dans un sens comme dans l’autre ?
Jene pense pas qu’il soit dans cette posture de faire passer des messages. Je pense que les relations entre la France et le Mali sont tellement complexes que ça dépasse les compétences d’un pays comme le Sénégal.