
Le premier ministre a délivré un diagnistique alarmant de la situation des finances publiques. S’il accuse le gouvernement de transition, trois mois après la prestation de serment du président Jovenel Moïse il n’a pas proposé de remède.
« L’actuel gouvernement a trouvé l’administration publique dans une situation sociale, économique et financière très difficile. Notre système de production est en déclin tel que le montrent toutes les données économiques », tels ont été les propos tenus par le Premier ministre Jacques Guy Lafontant lors d’une rencontre jeudi à la Primature. Un mois et 12 jours après son installation à la tête du gouvernement, le chef du gouvernement a dressé un état des lieux assez critique de l’administration publique haïtienne et pointé un doigt accusateur sur le gouvernement de transition qui a réduit à leur plus simple expression les institutions publiques.
« Six mois après les dégâts causés par le cyclone Matthew dans les régions du Sud, de la Grand’Anse, des Nippes et du Nord-Ouest, tous les chiffres montrent comment les activités économiques ont été touchées de plein fouet. Cette catastrophe est venue envenimer une situation déjà délétère. Les régions touchées représentent plus de 19% de la production agricole de tout le pays. Elles ont accusé des pertes estimées à plus de 36.5 milliards de gourdes, soit 7,5% de la production du pays », explique M. Jack Guy Lafontant.
Ces régions, selon le chef de la Primature, ont besoin de plus de 2.72 milliards de dollars américains pour se refaire une santé. Cette enveloppe concerne des secteurs comme l’agriculture, l’industrie, la pêche, le tourisme, le logement, l’éducation, la santé, la culture, les transports, les communications, l’énergie, l’eau potable, l’environnement, etc.
M. Lafontant, dans la lecture de son rapport sur la situation socioéconomique du pays, a analysé le phénomène de la cherté de la vie qui, dit-il, affecte grandement le pouvoir d’achat de la population. « Pour le mois de mars 2017, l’inflation a pris des dimensions considérables. A l’arrivée du président Jovenel Moïse au pouvoir, l’inflation avait déjà atteint 14% alors qu’en février 2015, elle était seulement de 6%. »
Ce phénomène touche toutes les couches de la société. Les PME et les grandes entreprises en sont aussi victimes. Il complique davantage la situation du taux de change où la gourde subit de jour en jour des revers face au billet vert. Selon le Premier ministre, les principales causes de cette situation résident dans les mauvaises décisions du gouvernement de transition et les dégâts causés par Matthew.
En ce qui concerne l’état du Trésor public, le chef du gouvernement a indiqué qu’au cours des six mois écoulés, les recettes collectées ont été estimées à 34.8 milliards de gourdes. Ces recettes représentent à peu près 28,5% des fonds devant être collectés pour l’année fiscale 2016-2017. « En d’autres termes, en six mois, le Trésor public n’a pas pu collecter que la moitié du montant des recettes prévu pour l’exercice fiscal en cours.
« Ça montre à quel niveau les ressources de l’Etat ont décliné. Alors que, dans les crédits budgétaires concernant le paiement du personnel, achat de matériels, subventions, etc. on a déjà dépensé 54% au cours de ces six mois. Ainsi, 34 milliards de gourdes sont déjà utilisées. A cause de ce problème, l’Etat accuse un déficit de 6 milliards de gourdes sans compter les dettes préalablement accumulées par l’administration »
Impacts de cette réalité sur le fonctionnement des ministères et d’autres organismes publics
La rencontre du Premier avec la presse jeudi a été aussi l’occasion pour ce dernier de faire un coup de projecteur sur les différents ministères et institutions autonomes afin de mettre à nu la mal gouvernance qui, selon lui, a caracterisé le gouvernement de transition qui a mené la destinée du pays après le départ du président Michel Martelly.
Selon M. Lafontant, les données collectées à travers chaque ministère montre l’urgence de corriger beaucoup d’imperfections de l’administration dans la perspective d’un réel démarrage du pays. D’après le rapport lu par le Premier ministre, l’argent de l’Etat n’est pas toujours bien géré. Au niveau de certains ministères, directions générales et entreprises autonomes, les biens publics deviennent des legs destinés au service de particulier.
– Au ministère des Affaires étrangères (MAE), les informations préliminaires détenues par la Primature font état de plusieurs indicateurs négatifs. Dans les représentations diplomatiques, de nombreuses personnes sont employées. En République dominicaine, la situation est plus grave. Le MAE hérite d’une situation budgétaire très compliquée qui fait qu’aujourd’hui l’Etat haïtien se trouve quasiment dans l’impossibilité de payer ses employés. Le crédit budgétaire alloué aux consulats et ambassades est déjà épuisé.
– Le MAE a des dettes estimées à 1.4 milliard de gourdes, soit à peu près 21 millions de dollars US. Ce ministère a déjà dépensé plus de 90% de son budget pour l’année fiscale en cours.
– Le Fonds d’assistance économique et social (FAES) devrait être un instrument stratégique pour l’Etat. Mais son mode de fonctionnement le rend inefficace, a dit le Premier ministre . L’entité compte 283 employés alors qu’elle n’a besoin que d’une cinquantaine de personnes pour fonctionner. Tous les projets de FAES devraient arriver à terme au mois de juin prochain. Après quoi aucun autre projet en perspective pour cette entité à cause de son manque de crédibilité auprès des institutions et des bailleurs internationaux supportant les projets.
Par exemple, sur 37 écoles devant être construites après le cyclone Matthew dans plusieurs localités de la Grand’Anse, seulement 7 sont arrivées à leur phase finale de construction. Pour chaque projet, FAES devrait embaucher un personnel spécifique dont le contrat prendrait fin avec la finalisation du projet. Cependant la mauvaise gestion de cette institution fait que le personnel est toujours resté en poste même après la fin du projet.
– Le ministère de la Culture avait un budget de 640 millions de gourdes pour l’exercice 2016-2017. Il a déjà dépensé 88,65% de ce montant dont une bonne partie pour le carnaval national.
Le ministère des Affaires sociales a déjà séché 87,06% de son budget d’octobre 2016 à aujourd’hui. D’ailleurs, son budget de fonctionnement représente 94% de son allocation budgétaire. Le nombre de contractuels embauchés pendant la période de transition est estimé à 3 308. Le MAST a une dette évaluée à 514 millions de gourdes et des montants d’arriérés de salaire évalués à 50.6 millions de gourdes.
Au cours des cinq premiers mois de l’exercice 2016-2017, le ministère du Tourisme a dépensé plus de 55% de son budget. Ses dettes atteignent quasiment 74 millions de gourdes. La moitié des véhicules de ce ministère ne fonctionnent pas bien. Il compte un total de 329 employés, dont 46% sont des contractuels.
– Le ministère de l’Education nationale est un vrai sac d’embrouille. On y compte 2 691 enseignants avec leur lettre de nomination mais qui n’ont jamais touché un centime de l’Etat. Tandis que, dans ce même ministère, on trouve 2 600 enseignants qui travaillent mais qui n’ont pas de lettre de nomination. Ce ministère a une dette de plus de 680 millions de gourdes pour des écoles faisant partie du programme PSUGO. Selon le Premier ministre Lafontant, le ministère de l’Education nationale a au minimum des dettes s’élevant à plus de 5.5 milliards de gourdes.
– Le ministère des Travaux publics, Transports et Communication (MTPTC) a une dette de 1.5 milliard de gourdes, soit 22.9 millions de dollars US. Le MTPTC a un effectif de 1 437 employés, dont 802 fonctionnaires et 635 contractuels.
– Le ministère de la Santé publique a un budget de 3.8 milliards de gourdes et une dette de 1.4 milliard de gourdes. Du mois d’octobre 2016 au mois de mai 2017, ce ministère a dépensé un total de 1.8 milliard de gourdes, soit 46,4% de son budget. Le MSPP a un effectif de 12 260 employés, dont 9 566 sont des fonctionnaires et 2 694 des contractuels. Sur tout le territoire, le MSPP a 75 ambulances, 745 ambulanciers. On dénombre 125 hôpitaux pour le MSPP. Mais seulement 43% des sections communales du pays disposent d’un centre de santé.
Le ministère de la Justice a dépensé 60% de son budget du mois d’octobre 2016 au mois d’avril 2017. Il a une dette s’élevant à 1.8 milliard de gourdes.
Le ministère de la Planification et de la Coopération externe a pour mission de conduire, animer et piloter le processus de planification du développement économique et social du pays. Comme tous les autres ministères, le MPCE a ses propres problèmes. Quatre des principaux projets conduits par ce ministère sont bloqués, faute d’argent. Six de ses projets initiaux sont arrivés à terme. Mais pour chacun de ces projets, des dettes se sont accumulées d’une valeur de 16 millions de dollars US.
– Le ministère de la Défense a une dette estimée à 16 millions de gourdes. Il a un effectif de 386 employés, dont 162 fonctionnaires et 224 contractuels.
Le ministère de l’Agriculture, des Ressources naturelles et du Développement rural (MARNDR) a bénéficié d’un budget de 7 milliards de gourdes pour l’exercice 2016-2017. De ce montant, 100 millions de gourdes sont consacrées au budget de fonctionnement et 5.9 milliards comme budget d’investissement. Le MARNDR a un personnel de 1 807 employés, dont 1 200 fonctionnaires et 392 contractuels. Une bonne partie de ce personnel devrait déjà être à la retraite.
– À la Direction de l’Immigration et de l’Emigration, avant le 7 février 2017, il y avait 117 000 demandes de passeports en souffrance. Aujourd’hui, on est à moins de 30 000. La production journalière de passeport est passée de 500 à 2 500. L’administration Moïse/Lafontant a déjà mis sur pied six centres de production de passeports. La durée de production et de livraison de passeports ne doit pas dépasser huit jours.
Au Bureau de monétisation des programmes d’aide au développement (BMPAD), beaucoup de problèmes ont été identifiés. L’effectif des employés pendant la période de transition a plus que doublé. De 83 employés en février 2016, l’effectif est passé à 192 en février 2017. D’un autre côté, les recettes de l’institution ont connu une baisse. Le parc automobile de l’institution a augmenté de plus de 100%.