
Pour sécuriser les cargaisons de cocaïne entre 1999 et 2003, Guy Philippe avoue avoir accepté entre 1,5 et 3,5 millions de dollars de trafiquants de drogue et soudoyé d’autres policiers. Le sénateur élu a plaidé coupable de blanchiment d’argent en rapport au trafic de la drogue pour éviter la prison à vie. Sa sentence sera prononcée le 5 juillet.
Guy Philippe, 49 ans, ex-haut gradé de la Police nationale d’Haïti, a plaidé coupable de blanchiment d’argent provenant de trafic de drogue international devant la juge fédéral du district sud de la Floride, Cecilia M Altonaga, lundi 24 avril 2017. Encourant jusqu’à 20 ans de prison, la sentence de Guy Philippe sera prononcée le 5 juillet prochain, selon un communiqué de l’ambassade des Etats-Unis citant des fonctionnaires de plusieurs entités fédérales impliquées dans la répression du trafic de drogue et de blanchiment d’argent en rapport avec le trafic de la drogue. Guy Philippe, a indiqué le communiqué, admet avoir utilisé son rang et son autorité pour « sécuriser des cargaisons de drogue arrivant en Haïti en échange de paiement ».
L’ex-commissaire de police, dont les aveux sont consignés dans son entente avec la justice américaine, a reconnu avoir reçu entre juin 1999 et avril 2003 entre 1,5 et 3,5 millions de dollars de trafiquants de drogue tout en sachant pertinemment que cela constituait le paiement de la vente de cocaïne à Miami, en Floride et ailleurs aux Etats-Unis. Guy Philippe, poursuit le communiqué, a
aussi admis avoir partagé une portion de ces paiements avec des officiels de la PNH et d’autres membres du personnel de sécurité pour s’assurer de leur support dans la sécurisation d’autres cargaisons de drogue.
Guy Philippe a reconnu avoir utilisé l’argent de la drogue pour acheter une maison à Broward, en Floride. Le communiqué de l’ambassade des Etats-Unis a en éffet indiqué que Guy Philippe a transféré 376 000 dollars provenant de la vente de cocaïne de banques d’Haïti, d’Equateur à son compte conjoint à Miami. Il a utilisé d’autres noms lors de ces transferts pour ne pas être découvert. Pour ne pas éveiller de soupçon dans une autre transaction, l’ex-haut gradé de la police a fait des dépôts de moins de 10 000 dollars us. Le montant total avait excédé 70 000 dollars us.
« Guy Philippe a mis de côté sa responsabilité de protéger et servir le peuple haïtien. Il a plutôt abusé de sa position et de son autorité de haut gradé de la police pour sécuriser des cargaisons de drogue et faire du blanchiment », a indiqué le procureur du district sud de la Floride, Benjamin J. Greenberg dans ce communiqué. « Il est important que Guy Philippe accepte les conséquences de ses actes criminels en association avec le trafic de drogue contre les Etats-Unis et le peuple haïtien », a dit l’agent spécial de la DEA, Adolphus P. Wright, soulignant « que peu importe le temps que cela prend, les autorités américaines et leurs partenaires à l’étranger ne se lasseront pas de rechercher et de traîner devant la justice les responsables de trafic de drogue et de blanchiment de l’argent de la drogue ».
Les autorités américaines ont loué la coopération de leurs services avec les autorités haïtiennes et la Brigade de lutte contre le trafic de stupéfiants de la PNH. Cette investigation internationale démontre la possibilité de réussite dans l’identification et la production de preuves en béton contre des membres d’organisations de trafiquants de drogue et de responsables corrompus, a indiqué Matthew G. Donahue, agent spécial en charge de la division caribéenne de la DEA. Guy Philippe a violé la confiance du peuple haïtien, des gens de la Caraïbe et les Etats-Unis en profitant, a-t-il soutenu. « Par rapport à tout ce que nous avons appris dans ce dossier, nous pensons que Guy Philippe a pris la bonne décision pour le résoudre », a confié Alan Ross, l’un des avocats de Guy Philippe, à l’extérieur du tribunal, a rapporté un article du Miami Herald. L’entente avec la justice américaine permet à Guy Philippe d’échapper à une condamnation à perpétuité, a expliqué son autre avocat, Zelijka Bozanic.
« Même après l’arrestation, le président haïtien Jovenel Moïse- qui a fait campagne avec Guy Philippe en dépit de son statut de fugitif- a employé de proches supporteurs de Guy Philippe à des postes clés. Parmi eux, le chef du parti de Guy Philippe, Jeantel Joseph, meneur d’une manifestation de protestation devant l’ambassade américaine, nommé à un poste au gouvernement en charge de la sécurité », lit-on dans l’article du Miami Herald. Avant le changement de la stratégie de défense de Guy Philippe, le Sénat avait voté une résolution pour dénoncer l’arrestation et la déportation. Les « sages » avaient recommandé la mise en accusation de Me Camille Edouard Junior, ministre de la Justice. Les sénateurs n’avaient même pas pris la précaution d’une condamnation de principe du trafic de stupéfiants. Le chef de la police, Michel-Ange Gédéon, avait refusé de présenter des excuses comme l’exigeait le Sénat. Comme un pied de nez, le chef de la police avait affirmé que les trafiquants de drogue seront arrêtés.
Passé mouvementé
Guy Philippe, inculpé comme l’auteur intellectuel de l’attaque du commissariat des Cayes en mai 2016, avait beaucoup d’alliés, dont le président Michel Martelly. Avec celui-ci au pouvoir, il a affirmé jouir d’un sentiment de sécurité, sans manquer une occasion pour tancer l’ex-président René Préval. Sous Préval, Guy Philippe a prétendu que les opérations de la PNH et de la DEA visaient à l’assassiner. L’ex-commissaire de police, qui a finalement enlevé son masque devant la justice américaine après dix ans, était dans le collimateur de certains enquêteurs intègres de l’inspection générale de la police.
Commissaire de police de Delmas puis commissaire principal au Cap-Haïtien, il a été inquiété par la police des polices. L’enquête de l’IGPNH avait jeté une lumière crue sur Guy Philippe et sur un réseau de policiers de mèche avec les trafiquants de drogue. La rencontre entre des policiers et des trafiquants de drogue à l’hôtel Voyageur à la plaine du Nord et l’atterrissage d’un petit avion dans le secteur avaient fourni des indices et des preuves en béton contre ce réseau. Ces hommes en uniforme utilisaient la route 9 comme piste et d’autres pistes d’atterrissage à Brache (Léogâne) et d’autres endroits dans le Sud, le Sud-Est et le Nord-Est, selon des sources proches de ces enquêtes.
Installé en République dominicaine où il a été un temps sous surveillance des autorités dominicaines, Guy Philippe, selon des témoins de l’époque, était visité par des hommes politiques haïtiens impliqués dans le mouvement pour renverser Jean Bertrand-Aristide en 2004. Guy Philippe, chef de l’armée du Nord assisté, entre autres, par Louis Jodel Chambelain, Ravix Remissainte, Butter Métayer, Jean Frantz Vilfort, alias Ti Will, était le héros, en février et mars 2004 du groupe des 184, de plusieurs hommes politiques de la Convergence démocratique, d’un ex-parton de la Chambre de commerce en extase et d’une frange de la société apeurée face aux dérives du pouvoir lavalas et des chimères qui mataient toutes les contestations. La réputation sulfureuse de Guy Philippe était connue. Le chef rebelle n’avait pas pu entrer au Palais national. Sans ménagement, Guy Philippe a accusé de trahison les principales figures de l’opposition à Jean-Bertrand Aristide, l’un des régimes d’après 1986 à avoir eu le plus de policiers et d’officiels épinglés par la justice américaine dans le trafic de stupéfiants. Les trafiquants utilisent toujours Haïti comme une plateforme pour faire transiter la cocaïne vers les Etats-Unis. Des FAD’H à la PNH, cette influence va crescendo alors que la justice haïtienne n’a jamais poursuivi ou cherché à poursuivre Guy Philippe, encore moins les rares inculpés de trafic de cocaïne.
Source le nouvelliste