
Les transferts courants (sur une base nette) devraient atteindre 2,7 milliards de dollars par an, soit 29,2% du PIB. Et les envois de travailleurs autour de 2,3 milliards de dollars, soit 25 % du PIB de cette année à l’exercice 2020-2021. Avec ses 22,7% du PIB en 2014, Haïti figure en 8e place dans la liste des plus gros receveurs de transferts, en termes du ratio de transferts par rapport au PIB, derrière le Tadjikistan, la République Kyrgyz, le Népal, le Tonga, la Moldavie, le Libéria et les Bermudes, selon la Banque mondiale. Ce n’est pas rien.
Les transferts d’argent de la diaspora sont en constante augmentation depuis 20 ans et plus de 20% dans le PIB national. En même temps, la fuite des cerveaux fait figure d’une hémorragie des plus graves qui mine le devenir de la nation. Si les Haïtiens qui vivent à l’extérieur ont envoyé quelque 2,8 milliards de dollars vers leur pays d’origine, ces fonds n’ont pas servi à la production ou dans l’investissement. Force est de constater que 75 % des cadres formés dans le pays gagnent leur pain ailleurs.
Le gouverneur de la Banque de la République d’Haïti (BRH), Jean Baden Dubois, a aussitôt livré un premier constat en ce qui a trait aux transferts de fonds dans l’économie nationale. « Les transferts de fonds semblent dépendre davantage du revenu des pays expéditeurs que de l’action des pays receveurs », a-t-il fait remarquer. Ainsi, ajoute-t-il, la stagnation économique, la dégradation de l’environnement physique et l’explosion démographique, en favorisant l’émigration massive souvent illégale de ressortissants haïtiens vers l’Amérique du Nord et les Caraïbes et maintenant vers l’Amérique du Sud, coïncident avec une expansion extraordinaire des transferts.
Les chiffres de transferts augmentent d’année en année. De 64, 8 millions de dollars en 1981 à 234,3 millions en 1991 pour 768,6 millions en 2001, les transferts de fonds ont atteint 2,8 milliards de dollars en 2011. Un autre constat du gouverneur de la banque centrale: « Les transferts courants tout en finançant le reste de l’économie augmentent plus vite que le PIB et par conséquent ne contribuent pas beaucoup à la croissance. »
« A part la construction de résidences, l’acquisition d’instruments aratoires et d’autres outils de production, les transferts de fonds, particulièrement les envois des travailleurs, financent de plus en plus les importations de produits alimentaires ou d’habillement au détriment de la production locale », a fait savoir le patron de la BRH qui intervenait le mardi 28 mars 2017, dans une conférence-débat organisée par le Conseil de développement économique et social (CDES) au centre de convention de la BRH.
Un autre constat du gouverneur de la Banque centrale est « le dynamisme observé des transferts vers l’extérieur (par opposition aux transferts de l’extérieur) notamment depuis le tremblement de terre de janvier 2010». Renforçant une tendance qui remonte à la fin des années 1980, avec les turbulences universitaires et la dégradation relative de la qualité de l’enseignement, des transferts vers l’extérieur financent en permanence la scolarité des membres de familles émigrés, souvent depuis le niveau secondaire».
Les transferts sous forme d’envois des travailleurs, devenus la grande source de financement extérieur des Caraïbes et d’Afrique, dépassent de loin l’aide officielle au développement. M. Dubois ajoute que la Banque mondiale prévoit que les envois des travailleurs dépasseront 500 milliards de dollars par an au cours des prochaines années.
« Un autre aspect du problème d’Haïti est celui de la fuite des cerveaux, c’est- à-dire comment comprendre que 75% des cadres formés en Haïti vivent à l’extérieur », a souligné le coordonnateur général du CDES, Louis Naud Pierre. Selon lui, des études montrent que plus les gens font des études avancées et occupent des postes importants à l’extérieur, moins ils envoient de l’argent en Haïti. Ce n’est pas forcément une fatalité, mais le pays doit trouver un mécanisme pour profiter de cette situation.
De 1970, l’économie a crû à une moyenne annuelle de 1,3% (contre 3,5% en Amérique latine) alors que, dans le même temps, la population augmentait à une rythme annuel de 2%, d’où une paupérisation de 0,7% par année. La situation économique et sociale a été aggravée par les chocs naturels tels que le tremblement de terre (120% du PIB de perte) et les cyclones, dont le plus récent, Matthew (environ 20% du PIB de perte). Propos de l’ex-gouverneur de la BRH, Charles Castel, qui croit que le pays doit relever un défi fondamental: « Comment croître plus économiquement et moins démographiquement, tout en réduisant les vulnérabilités d’un pays très exposé aux catastrophes naturelles?»
Pour sa part, Fritz Duroseau, membre du conseil de la BRH, faisant ressortir les impacts des transferts sur le cadre macroéconomique, a déclaré : « Dans un contexte d’influx de capitaux bas (on le verra avec les IDE), les transferts constituent la principale source de financement extérieur, améliorent les fondamentaux et, notamment, mettent la balance des paiements à un niveau plus gérable. » De plus, ces transferts sont la source principale des devises de l’économie qui alimentent le marché des changes. Les transferts, dit-il, ont une influence favorable sur le taux de change et l’inflation; Fritz Duroseau a reconnu que les transferts ont une influence négative sur la croissance via le financement des importations.
En outre, du coût des transferts vers l’étranger, le coordonnateur général du Conseil de développement économique et social n’y est pas allé de main morte pour mettre en relief l’incapacité d’Haïti à former son élite convenablement selon son histoire, ses préoccupations à travers ses problématiques de développement. « Combien ça coute de former un cadre de la maternelle jusqu’à la licence et combien cela rapporte lorsque ce cadre part à l’étranger en considérant les transferts d’argent envoyé dans le pays », s’est demandé le Dr Louis Naud Pierre.
Dans un autre registre, le professeur géographe Jean-Marie Théodat, en se référant à la logique qui prédomine notamment dans les relations commerciales avec la République dominicaine a rappelé un proverbe de notre vernaculaire: « Se sòt ki bay, enbesil ki pa pran ». Mais il a pris le soin d’établir une nuance en faisant savoir qu’il a l’intention de cesser d’être Bouki pour enfin devenir Malis dans toute cette histoire.
Avec 48 000 étudiants rien qu’en République dominicaine et des transferts vers ce pays de l’ordre de 21 millions de dollars l’an, des sommes importantes quittent aussi Haïti vers l’extérieur. Mais le pays compte des étudiants aussi en Amérique du Nord, au Chili, en Europe et dans d’autres points du globe. Selon la BRH, pas moins de 345 millions de dollars ont quitté Haïti en 2016, dans l’autre sens. Quel que soit le sens, les transferts de fonds ont une importance de premier ordre dans l’économie.