
Ces derniers jours, le président Jocelerme Privert fait du micro management. C’est la preuve, a estimé une source haut placée, qu’il est « insatisfait », qu’il a beaucoup de récriminations par rapport à la gestion postMatthew par l’équipe gouvernementale. L’impression qu’il est seul au front est fondée. Au point où certains au palais n’évoquent plus le manque de leadership du Premier ministre Enex Jean-Charles mais « sa mauvaise foi », a poursuivi cette source, estimant qu’à un moment de sa vie, surtout quand on est au soir de sa carrière, que le « ni oui ni non, bien au contraire », le marronnage par rapport à ses responsabilités ne sont plus de mise.
L’absence de poigne, d’empathie du Premier ministre Enex Jean-Charles, ses petits griefs vis-à-vis de Privert ne sont pas les seules causes de son inefficience. Outre les déficits intrinsèques, le Premier ministre dirige un gouvernement dit de consensus qui est en réalité un bricolage dont les politiques d’ici ont le secret. C’est le « repartimientos ». Mais alors, cette addition très hétéroclite de personnalités d’horizons divers mis au gouvernement par des groupes d’intérêts, dont certains biens nichés au Bicentenaire, n’était pas prête pour gérer la catastrophe Matthew. Le dire est comme enfoncer une porte grande ouverte.
À l’examen non approfondi de l’équipe, le ministre de l’Intérieur, Anick François Joseph, obtient une mention peu flatteuse pour un politique de son expérience. Il est décrit, au mieux, comme « conflictuel » par des maires qui ne sont pas prêts à donner l’absolution à l’ex-prêtre. L’ex-sénateur de l’Artibonite, analysent d’autres, traîne plus de problèmes qu’il n’apporte de solutions à ce gouvernement sans ministre vedette dans l’efficacité et la cohérence de ses actions.
Au ministère de l’Agriculture, censé être au front de l’action gouvernementale compte tenu de l’impact de Matthew sur l’agriculture et le bétail dans le grand Sud, on carbure à l’excès de précautions, du tout est politique. L’actuel directeur général, désigné ministre dans le cabinet non ratifié de l’économiste Fritz Alphonse Jean, vit une cohabitation délicate avec le ministre, plaisante un vieil agronome. Chaque fait et geste est politiquement décrypté. Il est difficile d’être volontariste.
Le ministère de la Communication, en ces temps de crise, passe à côté. Il n’a pas d’antenne sur place, pas de mise à contribution efficace des médias d’Etat dans les zones sinistrées pour montrer les besoins, exposer les efforts des pouvoirs publics. Pourtant, après le séisme du 12 janvier 2010, lors de la crise du choléra quelques mois après, ce ministère avait su mobiliser ses ressources. Son QG d’opération était à la DCPJ où le président René Préval et le Premier ministre Jean-Max Bellerive recevaient leurs homologues, des humanitaires. Au temps fort de l’épidémie de choléra, il y avait la ligne téléphonique * 300 pour permettre la communication entre la population et les services publics.
La communication avec le public, la communication au sein du gouvernement, pour le moins, passent mal. En aucun cas, s’il y avait une remontée de l’information, le ministre des Affaires étrangères n’aurait menti à la population, à des parlementaires sur la présence de soldats dominicains sur le territoire pour sécuriser l’aide humanitaire acheminée au pays. Le diable est dans les détails et cet épisode montre que le territoire n’est pas correctement surveillé, géré. Au Parlement, devant la commission Santé du Sénat, les chefs du MSPP n’étaient pas convaincants. Sur l’aide reçue, la prise en charge des cas de choléra ou de diarrhées, l’évaluation de l’impact de Matthew sur les infrastructures sanitaires et le plan de réhabilitation, la commission sénatoriale est selon toute vraisemblance restée sur sa fin. Comme pour une équipe de football, il faut que le gouvernement trouve les moyens pour arrêter cette mauvaise série. En première ligne, quand cela ne va pas, c’est l’entraîneur qui est sur la sellette. Ici, ce n’est pas le cas.
D’un autre côté, ils sont un peu plus nombreux, ceux qui doutent de la volonté du Premier ministre Enex Jean-Charles d’œuvrer à la réussite du processus électoral. Si Jocelerme Privert, président de facto, n’a pas de mandat renouvelé, le gouvernement Jean-Charles est en charge. Il y a toujours cette possibilité de rester en place pour Enex Jean-Charles. Les discours en daki du Premier ministre, la tentative avortée de coup d’État de six juges de la Cour de cassation ont laissé des traces. Personne ne pourra rejeter d’un revers de main l’hypothèse de la planification de l’échec des prochaines élections. Qu’on se le dise, dans les zones sinistrées, si l’aide est gérée de manière aussi chaotique à cause des faiblesses organisationnelles, de la topographie des zones sinistrées, ce sera une gageure pour le CEP d’organiser des joutes dans le grand Sud alors que les populations ont de plus en plus l’impression d’être abandonnées à leur sort par l’État.
Pour les pouvoirs publics et pour la coopération étrangère qui encourage la réalisation au plus vite des élections, il serait intelligent de ne pas sous-estimer ce sentiment de colère qui monte et qui peut être exploité contre l’administration Privert. Sans Parlement, sans Cour de cassation complète, sans président, le pays pourrait faire un vrai saut dans l’inconnu si les élections sont avortées ou mal organisées. Pour l’instant, il est tard mais pas trop tard pour éviter une longue transition politique, fort probablement sans Jocelerme Privert, qui assumera seul la responsabilité de l’échec du bricolage politique. Ici, aujourd’hui plus qu’hier, il y a un leadership à inventer…