
Le président Jocelerme Privert, un mois après son arrivée au palais national, braque ses projecteurs dans la pénombre du programme PetroCaribe. Il y a des placards. Il y a, à écouter son adresse à la nation dimanche, des squelettes aussi. Sans donner des détails, Jocelerme Privert confie avoir appris, pendant une série de rencontres avec des ministres sur la gestion du fonds PetroCaribe, que seulement « 5 % des contrats entre l’Etat et des compagnies privées ont été passés dans le respect de la loi ».
« Pour beaucoup de ces contrats, les décaissements ont été faits mais les travaux n’ont pas été effectués », a-t-il affirmé, soulignant que l’analyse de PetroCaribe indique que ce programme a de « gros problèmes », « qu’il est au bord de la mort ». « Nous devons beaucoup d’argent aux compagnies chargées de faire des travaux à travers le pays. Pour l’instant, la majorité de ces projets sont à l’arrêt », a indiqué le président Jocelerme Privert, ex-président de la commission Economie et Finances du Sénat de la République et conseiller du président René Préval.
Yves Germain Joseph, sarcastique, ponce Pilate et aiguilleur
« Comment Monsieur? Le président a parlé et vous cherchez confirmation de ses propos ailleurs? Vous ne lui faites pas confiance? Pourquoi n’allez-vous pas obtenir les détails de lui directement? Il me paraît bien disponible », a répondu, sarcastique, Yves Germain Joseph, ultime ministre de la Planification et de la Coopération externe de l’administration Martelly.
« MARTELLY a eu quatre ministres au MPCE. Le premier, Jude Hervey DAY; le second Mme Josefa RAYMOND ; le troisième, qui y est resté trois ans, le PM Laurent LAMOTHE, qui a entre autres signé des contrats de plusieurs millions de dollars avec les journalistes pour couvrir ses activités et enfin moi-même arrive le 20 janvier 2015. J’ai exécuté des contrats en cours. Je n’ai pas passé de nouveaux contrats. Il y a cependant le tout premier ministre de la Planification du gouvernement précédent qui a signé quasiment tous les contrats. Comme votre enquête porte sur l’administration MARTELLY, ce serait odieux de ma part de parler de lui », a confié Yves Germain Joseph, sans citer le nom de Jean Max-Bellerive, ex-ministre de la Planification, ex-Premier ministre, actuel chef de cabinet du président Jocelerme Privert.
Bellerive fait le point, flambe BMPAD, fait durer le suspense…
« Tous les contrats passés dans le cadre de PetroCaribe se font sur la base de résolutions. Ces résolutions doivent faire l’objet d’une décision du Conseil des ministres qui les approuve. De nombreux contrats en exécution qui devaient être financés par PetroCaribe n’ont pas suivi cette procédure. Le BMPAD a dans certains cas juste opéré les décaissements sur simple ordre parfois verbal », a révélé Jean-Max Bellerive avant de faire le point en ce qui le concerne, lorsqu’il était au MPCE. « Je ne suis pas concerné jusqu’à preuve du contraire par ces dénonciations car tous les contrats par moi signés ont suivi strictement ces procédures et ont été approuvés par la Cour des comptes. Y compris ceux qui concernent des compagnies dominicaines qui ont en leur temps défrayé l’actualité. Le fait que les mêmes compagnies aient été utilisées pour faire d’autres travaux qui sont aujourd’hui inachevés ne saurait me concerner », a expliqué Jean-Max Bellerive.
Par rapport aux interrogations du journal sur les 5 % de contrats passés dans le cadre de la loi, la période concernée et les chantiers des compagnies privées ayant reçu de l’argent du fonds PetroCaribe sans livrer le travail pour lequel elles étaient payées, Jean-Max Bellerive fait durer le suspense et passe la ballon. « Un peu tôt. C’est volontairement que l’on se garde de citer des compagnies et des contrats spécifiques. Nous avons déjà des éléments de preuve mais tant que l’on n’aura pas accès à tous les documents et que les rencontres n’auront pas permis à un gouvernement de faire la lumière sur certains faits, il est prématuré de mettre des noms sur la place publique. Il faut laisser à tout un chacun l’occasion de s’expliquer et identifier les responsabilités. Ce n’est pas le travail de la présidence!», a affirmé Jean-Max Bellerive.
CSC/CA enquête, est au parfum des écarts sous le manteau de la loi sur l’état d’urgence
« Nous allons investiguer afin de savoir s’il y a des projets exécutés sans passer par la Cour des comptes. Si on trouve des cas où les ordonnateurs avaient enfreint la loi et auront des comptes à rendre lorsque leurs comptes seront jugés », a confié une source à la CSC/CA.
« Nous sommes en train de préparer le rapport de la CSC/CA sur la situation financière et l’efficacité des dépenses publiques 2014-2015. J’espère que le président communiquera ces informations. Nous allons mener notre enquête afin de vérifier », a confié une source à la CSC/CA.
Privert a-t-il parlé sans avoir de preuves ? « Nous connaissons la situation avec la loi d’urgence. Il est possible que ces projets aient été financés dans le cadre de la loi d’urgence. Il faut un peu de temps pour regarder les résolutions, les contrats passés afin de savoir si ceux-ci correspondent aux résolutions en Conseil des ministres et les contrats sont passés par la CSC/CA », a indiqué cette source, soulignant que la Cour dépêche des missions sur le terrain pour évaluer les chantiers, le niveau de décaissement et le travail fourni.
CSC/CA avait déjà tiré la sonnette d’alarme
La Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif (CSCCA) dans son rapport sur la situation financière du pays et l’efficacité des dépenses publiques pour l’exercice 2013-2014 avait relevé des anomalies. Irrégularités dans l’octroi des marchés publics, retard dans la progression des chantiers, les firmes étrangères priorisées sur les compagnies haïtiennes sont parmi celles relevées.
Dans ce rapport, la Cour supérieure des comptes avait passé en revue les chantiers lancés par le gouvernement Martelly-Lamothe. La Cour dénombre de nombreux projets qui sont restés inachevés et qui n’ont pas pu être livrés dans les délais impartis. On cite en exemple le projet de construction des viaducs sur la route de Delmas et à Carrefour. Une avance de 13,95 millions des 30,22 a déjà été faite à la compagnie dominicaine Estrella qui exécute le projet.
Ce projet devrait être livré à l’Etat haïtien depuis juillet 2014. Si la Cour reconnaît que la construction de ces viaducs va avoir des effets positifs sur la vie des populations de la zone métropolitaine, elle s’interroge sur les retards enregistrés dans la construction du viaduc de Carrefour. « La Cour se pose des questions sur les fonds qui ont été avancés pour la réalisation du viaduc de Carrefour qui ne montre aucune trace d’existence », lisait-on dans ce rapport de 248 pages. Les faits constatés dans la construction du viaduc de Carrefour sont aussi valables pour nombre d’autres chantiers. Dans plusieurs cas, les chantiers peinent à avancer alors que l’Etat haïtien a déjà avancé des millions.
D’un autre côté, le rapport avait révélé que le gouvernement haïtien n’a pas toujours tenu compte des procédures en vigueur pour octroyer des contrats aux firmes étrangères. « En fait, des suspicions sérieuses sont soulevées à l’analyse du mode d’attribution des contrats du côté étranger, avec trois firmes mobilisant 68% des contrats », soulignait le rapport. La loi sur la passation des marchés est, selon la Cour des comptes, violée sous couvert de la loi sur l’état d’urgence utilisée abusivement. Des abus divers ont été observés au niveau de la distribution des contrats entre l’Etat haïtien et les exécutants.
Face à cet état de fait, les techniciens de la CSCCA avaient indiqué que les ressources du pays servent plutôt à tuer la compétitivité, à étouffer le savoir et à décourager le développement de la concurrence en ignorant les normes compétitives et en ne mettant en place aucune disposition sérieuse de supervision stratégique.