
La probabilité d’une sortie par la petite porte pour le président Michel Martelly n’a jamais été aussi grande qu’aujourd’hui, jour où Pierre-Louis Opont l’a laissé en rase campagne au point d’annuler son adresse à la nation après le report sine die du scrutin du 24 janvier. Dans les rues, la colère légitime de milliers de citoyens et l’action condamnable de casseurs, de voleurs ont donné un air de déjà-vu à un moment où la bataille pour le pouvoir ne fait que commencer.
La première surprise de la journée a été un communiqué du Core Group sur les élections qui n’a fait référence ni à la date du 24 janvier ni à la date de passation des pouvoirs entre le président Martelly et son remplaçant. “La Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies et les autres membres de la communauté internationale en Haïti représentés dans le « Core Group » réitèrent leur appui continu pour la conclusion d’un processus électoral inclusif et équitable tout en soutenant les efforts visant à trouver une issue qui assure le renouvellement démocratique des institutions de l’Etat”, indique le communiqué publié vendredi matin.
“Le « Core Group », composé des pays amis d’Haïti, maintient son plein soutien aux efforts ayant pour but d’identifier des solutions consensuelles et constructives aux défis actuels de gouvernance d’Haïti, à travers les élections et un dialogue entre les acteurs concernés”, selon le texte.
“Les membres du « Core Group » déplorent les récents actes de violence électorale et appellent les autorités nationales, les partis politiques, les candidats et leurs partisans, ainsi que l’électorat en général, à participer de manière responsable et avec retenue dans le processus électoral, afin que le peuple haïtien puisse exprimer sa volonté dans un climat dépourvu d’intimidation et de violence.”
Le président Michel Martelly, comme au poker, a bluffé la veille en affichant sa volonté d’aller aux élections le 24 janvier, sans tenir compte des critiques incessantes et des recommandations pressantes visant à crédibiliser le processus électoral pour éviter au pays de connaître des jours sombres.
En l’espace de 24 heures, ce vendredi, le chef de l’Etat, plus faible que jamais, s’est ramassé. Il a vu Pierre-Louis Opont, président du CEP, faire machine arrière en reportant sine die le scrutin pour cause de violence. L’adresse à la nation prévue au palais national a été reportée. En milieu de journée, toujours ce vendredi, la rue a grondé. Parmi les manifestants outrés par la conduite du processus électoral, il y avait des casseurs et des voleurs. Le citoyen lambda, à Pétion-Ville, au centre-ville a casqué. « L’Adelante » de Michel Martelly, du CEP, du Core Group dans le n’importe quoi électoral n’est pas sans conséquences sur la vie des paisibles gens.
Pour tenter de rassurer, le chef du gouvernement a, dans un communiqué, annoncé, dans le sillage des évènements du jour, la tenue « d’un Conseil des ministres extraordinaires, en vue de prendre les dispositions nécessaires pour garantir l’ordre public, la sécurité des vies et des biens et d’adopter face à cette nouvelle conjoncture telles mesures que de droit ». Rien n’indique, par rapport au pouvoir Martelly/KP, quelque peu sonné aujourd’hui, que les choses vont se calmer. Il y a des places à prendre, le repositionnement à faire.
Lavalas, Pitit Dessalines et autres exclus du projet d’accord sur lequel a planché le cardinal Chibly Langlois veulent avoir leur place autour de la table des négociations. Sur Magik 9, Assad Volcy de Pitit Dessalines et Claude Roumain de Fanmi Lavalas soulignent qu’ils ont leur mot à dire. Le G 8, dans un communiqué saluant la capitulation d’Opont et co, revient aux propositions faites depuis le tout début au CEP pour crédibiliser le processus électoral.
Des lignes ont bougé et continueront à bouger. Les jours du G-8 sont comptés dans sa composition actuelle. La lutte pour le pouvoir risque d’avoir raison des ententes de façade et de circonstance.
Pour le Core Group, favorable à la poursuite du processus électoral, le dialogue politique, sans évoquer le 24 janvier et le 7 février, des lignes ont également bougé. Pas sans appréhensions pour la suite.
« Cela, c’était dans le cadre du préaccord du cardinal. Il n’a pas été signé. Ni par le Sénat ni par Jude Célestin. C’est cette entente, une fois signée, qui devait entraîner un report du scrutin du 24 janvier. Maintenant le 24 janvier, c’est fini. Les négociations sont pour l’après 7 février et une nouvelle date pour les élections », a confié un parlementaire au journal. Le président voudrait rester jusqu’à la passation des pouvoirs même si de plus en plus de gens pensent qu’il sera difficile pour lui de rester un jour de plus au palais national sans provoquer une grande effervescence populaire.
Entre-temps, jusqu’à ce vendredi soir, la nouvelle majorité au Sénat n’est pas pressée de faire le nécessaire pour la tenue de l’Assemblée nationale, a aussi appris le journal. Cette majorité de sénateurs veut neutraliser le projet que l’on prête à la majorité de députés (renforcée en cours de route) de ratifier un nouveau Premier ministre désigné par le président Michel Martelly, a indiqué off the record un sénateur. Il souligne en revanche que tôt au tard, il faudra abandonner la stratégie de neutralisation de la Chambre des députés. Quelque peu agacé, un député influent de la nouvelle majorité à la Chambre basse estime que « la stratégie du groupe des 15 sénateurs vise à paver la route à l’un des leurs vers la présidence provisoire ».
C’est un jeu de pouvoir qui se joue. C’est normal. Mais, il ne faut pas perdre de vue que beaucoup d’extrémistes, d’avares du pouvoir, de frustrés des dernières élections joueront le tout pour le tout en vue de s’inviter à la table du pouvoir le 7 février, a expliqué ce député, qui dit considérer Michel Martelly, même en fin de mandat, comme un symbole, une digue qui contient jusqu’ici des appétits démesurés. Le temps presse, ce n’est pas le temps des coups bas politiques, a-t-il appelé. « Pour l’instant, l’international est en mode observation, évaluation et affinement du plan B », a confié une source proche des milieux diplomatiques… Roberson Alphonse Source Le Nouvelliste